C’est encore dans le monde rural que nous emmène Françoise Moreau, et cette fois ci vraiment dans le monde d’autrefois. D’une grand-mère, elle a hérité d’une histoire, transmise depuis plusieurs générations. Un conte, dit-elle, plutôt un fait divers, criminel sans doute, car il y a eu mort d’homme peu naturelle. Une affaire jamais élucidée, qu’elle entreprend à son tour d’explorer, sur laquelle elle, Françoise Moreau, entend enquêter, quelque cent cinquante ans plus tard. Ce n’est pas simple, car « les gens de peu ne laissent pas de trace ». Et l’histoire parvenue jusqu’à aujourd’hui est imprécise et floue, elle « s’est montrée têtue à se perpétuer, elle s’est amincie à chaque transmission. »
Il s’agit donc de remonter le temps, de grimper aux branches de l’arbre généalogique et de retourner en Loire Inférieure vers 1840, entre Vay et Guémené. En ce temps-là, un samedi, Jean-Baptiste, un fort gaillard fait la route vers la maison familiale pour annoncer à sa mère son intention de prendre femme. Il repart le lendemain toujours à pied, pour une marche de quatre lieues, le cœur content, confiant dans l’avenir. Et l’on perd sa trace. Jusqu’à ce qu’on retrouve son corps flottant dans le Don, la rivière qui coule là-bas. C’est là que le mystère s’installe. Et le doute, car le jeune homme n’avait aucune raison de se jeter à l’eau. Françoise Moreau en commissaire du temps passé, en bonne historienne aussi, mène l’enquête. Elle interroge les archives, lève des hypothèses, elle fait revivre ce monde clos des campagnes d’hier, avec ses gens simples et taiseux, ses dynasties de petits notables, et cherchant, elle devine à qui a pu profiter le crime, car Jean-Baptiste a bien été assassiné, peut-être par un amoureux rival.
Lisant cette histoire, « embrouillée et glauque comme le fonds des mares », je ne pouvais m’empêcher d’entendre la chanson Marie-Jeanne de Joe Dassin, belle adaptation d’une ballade country américaine (Ode to Billie Joe). Dans ces régions oubliées par l’Histoire, où semble-t-il, il ne se passe jamais rien, il y a des drames profonds, des tragédies muettes, qui ne s’effacent jamais tout à fait dans la mémoire des familles. La littérature est là aussi pour réparer l’oubli, er redonner dignité aux morts.
Françoise Moreau, dont j’ai déjà dit ici tout le bien que j’en pensais, a un art du récit, servi par une écriture élégante et précise, elle sait, en parfaite conteuse faire revivre le temps perdu. Ce qu’elle ne sait pas, elle l’imagine avec science. D’une domestique dont elle ne retrouve pas la trace, elle dit : « une fois encore, rien n’empêche de se la représenter. » Même quand tout n’est pas sûr, tout est toujours juste sous sa plume. Cette écrivaine discrète mérite à coup sûr d’être mieux connue.
Alain Girard, revue 303, novembre 2020
A l’origine de ce livre, une histoire courte, tragique, d’un jeune homme amoureux retrouvé noyé dans une rivière. Cette histoire, qui ponctue ce court roman, l’autrice la tenait de sa grand-mère qui la tenait elle-même de son propre grand-père. Un noyé, un fort sentiment d’injustice et l’histoire qui passe de génération en génération : quelques mots pour témoigner que quelqu’un a vécu, est mort, n’aurait sans doute pas mérité cette mort. Une histoire aussi pour dire que les pauvres mourront toujours lorsqu’ils s’opposent aux riches. Françoise Moreau s’empare du peu que l’oralité a transmis pour mener l’enquête, 180 ans plus tard. Trop tard pour faire justice, mais les mots ont le pouvoir de solidifier l’histoire avant qu’elle ne s’estompe tout à fait.
Eric Pessan, post facebook, 16 septembre 2020
Françoise Moreau est l’autrice d’une œuvre poétique et d’une dizaine de romans (certains couronnés de prix). Depuis son premier roman Eau-forte tout un lectorat la suit de livre en livre. Ses lecteurs ne seront pas pas déçus par ce nouveau livre.
L’autrice part d’une histoire familiale au XIXe siècle, racontée sommairement par sa grand-mère. « Et alors ils l’ont retrouvé noyé dans le Don.» A partir de là elle mène une enquête, consulte les registres, reconstitué les faits ou les imaginé. C’est toute une époque et un milieu qui revit. La ferme, tenue par la mère après la mort du père, ses 4 enfants dont Jean-Baptiste, maréchal-ferrant à Guémené-Penfao, le noyé. Et François, ancêtre de la narratrice. L’écriture de Françoise Moreau est précise, savoureuse, faisant des clins-d’œil discrets au lecteur. Elle nous embarque dans cette histoire sur un rythme tranquille mais ferme. On avance avec curiosité, plaisir de la lecture jusqu’au retournement final.
Ce roman est excellent. On retrouve à le lire un bonheur éprouvé à lire les précédents.
Christian Bulting, post facebook, septembre 2020